Une robe de cuir comme un fuseau
Qu'aurait du chien sans le faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais...
Certains prétendent que C'est Extra est une anomalie dans l’œuvre de Léo Ferré et qu'elle ne cadre pas du tout avec l'univers du poète. Je ne suis pas tout à fait d'accord. S'il est vrai que cette chanson est nettement plus commerciale que les autres, je trouve qu'elle reflète plutôt bien le caractère paradoxal du Grand Léo, l'anar de Monaco, un de mes artistes préférés (à qui je consacrais un article en 2009).
C'est un Ferré cinquantenaire qui écrit C'est Extra, quelques semaines après les évènements de 68, pour une jeunesse révoltée. C'est un Ferré seul et triste suite à une rupture douloureuse qui écrit ce slow inoubliable, véritable hymne au désir.
Mais avant de vous en dire plus sur C'est Extra, commençons par écouter cette merveilleuse chanson. C'était à Bobino en 1969 :
Un Moody Blues qui chante la nuit
Comme un satin de blanc marié
Et dans le port de cette nuit
Une fille qui tangue et vient mouiller...
Au printemps 68, alors que la jeunesse française manifeste dans les rues, portant des revendications que l’artiste a longtemps exprimées, Ferré s'isole en Ardèche, à un jet de pierre d'Antraigues, le fief de Jean Ferrat.
Il vient de vivre une douloureuse rupture avec Madeleine, la femme qui partageait sa vie depuis près de vingt ans et qui l’a accompagné et soutenu depuis ses débuts dans la chanson. La séparation a été violente ; Madeleine a tiré à bout portant sur les deux guenons de l’artiste, dont Pépée, à qui le chanteur dédiera une superbe chanson.
C'est dans ces circonstances particulières que Ferré crée C'est Extra. On dit que la chanson fut composée d'un jet. Je ne sais pas si c'est vrai et à la limite, je m'en fiche. Le résultat est tellement EXTRA !!!
Bernard Lavilliers, chanteur que j'aime beaucoup, a souvent repris Ferré, un de ses Maîtres. Il a notamment interprété C'est Extra lors d'une émission de radio au printemps 2008 :
Des cheveux qui tombent comme le soir
Et d'la musique en bas des reins
Ce jazz qui d'jazze dans le noir
Et ce mal qui nous fait du bien...
C’est donc dans un contexte de solitude et de tristesse que naît C’est Extra.
Ferré l'enregistre le 7 janvier 1969, sans trop y croire. En deuxième position de la face B d'un 33 tours. Il espérait que ça passe entre deux morceaux plus représentatifs de son talent.
Et c'est un tube. Le grand public l'aime pour les mêmes raisons qu'il a détesté Poètes, vos papiers, La Solitude et autres morceaux à message, indansables et prise de tête.
Composée sur un rythme de slow, cette chanson d’une sensualité sans équivoque devient rapidement le plus gros succès commercial de Léo Ferré. Elle figura devant les Beatles au hit-parade. Sans doute grâce à sa très grande qualité d’écriture et de composition, magnifiquement portée par la voix si profonde de Léo.
Impossible d’évoquer C’est Extra sans mentionner Jean-Michel Defaye, qui en co-signa la musique. Ce dernier fut, à 16 ans, premier prix d’harmonie au Conservatoire de Paris, composa pour le cinéma et la chanson et travailla pendant dix ans en étroite collaboration avec Léo Ferré. L’ambiance musicale de C’est Extra lui doit beaucoup.
En 1995, pour l'émission Taratata, Hubert Félix Thiéfaine et Charlélie Couture interprétaient un C'est Extra plutôt original :
Ces mains qui jouent de l'arc-en-ciel
Sur la guitare de la vie
Et puis ces cris qui montent au ciel
Comme une cigarette qui prie...
Mais le succès commercial a une autre raison. En cette année 1968, Léo Ferré touche un nouveau public, les jeunes. Ces derniers se reconnaissent dans cet artiste de 53 ans, parce qu’il leur ressemble, parce qu’il est habité de la même colère, de la même contestation de la société ; son anarchisme, revendiqué et chanté depuis longtemps, trouve un large écho parmi eux.
Ainsi, dans la foulée de mai 68, Léo Ferré entame une deuxième carrière, avec des nouvelles chansons et un nouveau public, désormais constitué des enfants de ceux qui aimèrent ses premiers succès, Jolie Môme, Paname ou La Vie d’Artiste, dix ans plus tôt…
Il n'est pas aisé de reprendre du Ferré, et le résultat laisse souvent à désirer. Comme pour ce duo entre Claude François et Michel Delpech, en 1976, lors d'un Numéro Un Michel Delpech (de Maritie et Gilbert Carpentier). Ferré participait également à cette émission et y avait chanté Je t'aimais bien, tu sais.
Ces bas qui tiennent hauts perchés
Comme les cordes d'un violon
Et cette chair que vient troubler
L'archet qui coule ma chanson..
Dans l’hebdomadaire "Les Nouvelles littéraires", on peut lire, à la fin de 1968, à propos de Léo Ferré : "Le vieil anarchiste se réveille ; malgré son âge, ses épaules voûtées, ses cheveux gris, peut-être ses rhumatismes, il parvient à se hisser de nouveau sur les barricades."
Si le jeune public adhère aux nouvelles chansons de Léo Ferré c’est également parce que ce dernier y introduit des références qui parlent à ce public et leur sont familières.
Ainsi, dans C’est Extra, au-delà de l’adjectif-même du titre, plus familier alors à la jeune génération qu’à celle de leurs parents, il évoque les Moody Blues, groupe pop très en vogue qui a sorti un immense succès en 67, Nights In White Satin.
Coïncidence comme je les aime, les Moody Blues étaient en concert à Montréal lundi soir... 44 ans après.
En mars dernier, Catherine Lara a sorti un album hommage à l'artiste monégasque Une voix pour Ferré. Elle y adapte certaines chansons de Léo dans un style "musique du monde". C'est Extra en fait partie. Je ne suis pas convaincu par le résultat...
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu'on attend plus...
Le 6 janvier 1969, peu de temps après la sortie de C'est Extra, Léo Ferré participe avec Georges Brassens et Jacques Brel à une émission de radio devenue culte (comme la photo de cette rencontre qu'on retrouve en poster de nombreux foyers, dont le mien).
Au cours de ce débat, les trois hommes, réunis pour la première fois autour d’un même micro, parlèrent de chansons, bien sûr, mais également des femmes et de l’engagement.
Lors de mon dernier FestiVoix, j'ai eu le plaisir de rencontrer un duo marseillais, le groupe Alcaz. Vyvian et Jean-Yves sont plutôt dans les reprises de Brassens (ils viennent d'ailleurs d'en faire un album, Vent Fripon), mais il leur arrive d'interpréter du Ferré, et notamment C'est Extra.
Une robe de cuir comme un oubli
Qu'aurait du chien sans l'faire exprès
Et dedans comme un matin gris
Une fille qui tangue et qui se tait...
Quelque temps après avoir écrit C'est Extra, Ferré est invité à la première de "Radioscopie", la nouvelle émission de radio de Jacques Chancel. Ce dernier l'interroge : "Avez-vous conscience d'être agaçant ?" Ferré lui répond : "Si je heurte les bonnes consciences décorées, je m'en tape." Sacré Léo !
C'est encore Ferré qui interprète le mieux Ferré.
Les Moody Blues qui s'en balancent
Cet ampli qui n'veut plus rien dire
Et dans la musique du silence
Une fille qui tangue et vient mourir...
C'EST EXTRA !!!
Qu'aurait du chien sans le faire exprès
Et dedans comme un matelot
Une fille qui tangue un air anglais...
Certains prétendent que C'est Extra est une anomalie dans l’œuvre de Léo Ferré et qu'elle ne cadre pas du tout avec l'univers du poète. Je ne suis pas tout à fait d'accord. S'il est vrai que cette chanson est nettement plus commerciale que les autres, je trouve qu'elle reflète plutôt bien le caractère paradoxal du Grand Léo, l'anar de Monaco, un de mes artistes préférés (à qui je consacrais un article en 2009).
C'est un Ferré cinquantenaire qui écrit C'est Extra, quelques semaines après les évènements de 68, pour une jeunesse révoltée. C'est un Ferré seul et triste suite à une rupture douloureuse qui écrit ce slow inoubliable, véritable hymne au désir.
Mais avant de vous en dire plus sur C'est Extra, commençons par écouter cette merveilleuse chanson. C'était à Bobino en 1969 :
Un Moody Blues qui chante la nuit
Comme un satin de blanc marié
Et dans le port de cette nuit
Une fille qui tangue et vient mouiller...
Au printemps 68, alors que la jeunesse française manifeste dans les rues, portant des revendications que l’artiste a longtemps exprimées, Ferré s'isole en Ardèche, à un jet de pierre d'Antraigues, le fief de Jean Ferrat.
Il vient de vivre une douloureuse rupture avec Madeleine, la femme qui partageait sa vie depuis près de vingt ans et qui l’a accompagné et soutenu depuis ses débuts dans la chanson. La séparation a été violente ; Madeleine a tiré à bout portant sur les deux guenons de l’artiste, dont Pépée, à qui le chanteur dédiera une superbe chanson.
C'est dans ces circonstances particulières que Ferré crée C'est Extra. On dit que la chanson fut composée d'un jet. Je ne sais pas si c'est vrai et à la limite, je m'en fiche. Le résultat est tellement EXTRA !!!
Bernard Lavilliers, chanteur que j'aime beaucoup, a souvent repris Ferré, un de ses Maîtres. Il a notamment interprété C'est Extra lors d'une émission de radio au printemps 2008 :
Des cheveux qui tombent comme le soir
Et d'la musique en bas des reins
Ce jazz qui d'jazze dans le noir
Et ce mal qui nous fait du bien...
C’est donc dans un contexte de solitude et de tristesse que naît C’est Extra.
Ferré l'enregistre le 7 janvier 1969, sans trop y croire. En deuxième position de la face B d'un 33 tours. Il espérait que ça passe entre deux morceaux plus représentatifs de son talent.
Et c'est un tube. Le grand public l'aime pour les mêmes raisons qu'il a détesté Poètes, vos papiers, La Solitude et autres morceaux à message, indansables et prise de tête.
Composée sur un rythme de slow, cette chanson d’une sensualité sans équivoque devient rapidement le plus gros succès commercial de Léo Ferré. Elle figura devant les Beatles au hit-parade. Sans doute grâce à sa très grande qualité d’écriture et de composition, magnifiquement portée par la voix si profonde de Léo.
Impossible d’évoquer C’est Extra sans mentionner Jean-Michel Defaye, qui en co-signa la musique. Ce dernier fut, à 16 ans, premier prix d’harmonie au Conservatoire de Paris, composa pour le cinéma et la chanson et travailla pendant dix ans en étroite collaboration avec Léo Ferré. L’ambiance musicale de C’est Extra lui doit beaucoup.
En 1995, pour l'émission Taratata, Hubert Félix Thiéfaine et Charlélie Couture interprétaient un C'est Extra plutôt original :
Ces mains qui jouent de l'arc-en-ciel
Sur la guitare de la vie
Et puis ces cris qui montent au ciel
Comme une cigarette qui prie...
Mais le succès commercial a une autre raison. En cette année 1968, Léo Ferré touche un nouveau public, les jeunes. Ces derniers se reconnaissent dans cet artiste de 53 ans, parce qu’il leur ressemble, parce qu’il est habité de la même colère, de la même contestation de la société ; son anarchisme, revendiqué et chanté depuis longtemps, trouve un large écho parmi eux.
Ainsi, dans la foulée de mai 68, Léo Ferré entame une deuxième carrière, avec des nouvelles chansons et un nouveau public, désormais constitué des enfants de ceux qui aimèrent ses premiers succès, Jolie Môme, Paname ou La Vie d’Artiste, dix ans plus tôt…
Il n'est pas aisé de reprendre du Ferré, et le résultat laisse souvent à désirer. Comme pour ce duo entre Claude François et Michel Delpech, en 1976, lors d'un Numéro Un Michel Delpech (de Maritie et Gilbert Carpentier). Ferré participait également à cette émission et y avait chanté Je t'aimais bien, tu sais.
Ces bas qui tiennent hauts perchés
Comme les cordes d'un violon
Et cette chair que vient troubler
L'archet qui coule ma chanson..
Dans l’hebdomadaire "Les Nouvelles littéraires", on peut lire, à la fin de 1968, à propos de Léo Ferré : "Le vieil anarchiste se réveille ; malgré son âge, ses épaules voûtées, ses cheveux gris, peut-être ses rhumatismes, il parvient à se hisser de nouveau sur les barricades."
Si le jeune public adhère aux nouvelles chansons de Léo Ferré c’est également parce que ce dernier y introduit des références qui parlent à ce public et leur sont familières.
Ainsi, dans C’est Extra, au-delà de l’adjectif-même du titre, plus familier alors à la jeune génération qu’à celle de leurs parents, il évoque les Moody Blues, groupe pop très en vogue qui a sorti un immense succès en 67, Nights In White Satin.
Coïncidence comme je les aime, les Moody Blues étaient en concert à Montréal lundi soir... 44 ans après.
En mars dernier, Catherine Lara a sorti un album hommage à l'artiste monégasque Une voix pour Ferré. Elle y adapte certaines chansons de Léo dans un style "musique du monde". C'est Extra en fait partie. Je ne suis pas convaincu par le résultat...
Et sous le voile à peine clos
Cette touffe de noir jésus
Qui ruisselle dans son berceau
Comme un nageur qu'on attend plus...
Le 6 janvier 1969, peu de temps après la sortie de C'est Extra, Léo Ferré participe avec Georges Brassens et Jacques Brel à une émission de radio devenue culte (comme la photo de cette rencontre qu'on retrouve en poster de nombreux foyers, dont le mien).
Au cours de ce débat, les trois hommes, réunis pour la première fois autour d’un même micro, parlèrent de chansons, bien sûr, mais également des femmes et de l’engagement.
Lors de mon dernier FestiVoix, j'ai eu le plaisir de rencontrer un duo marseillais, le groupe Alcaz. Vyvian et Jean-Yves sont plutôt dans les reprises de Brassens (ils viennent d'ailleurs d'en faire un album, Vent Fripon), mais il leur arrive d'interpréter du Ferré, et notamment C'est Extra.
Une robe de cuir comme un oubli
Qu'aurait du chien sans l'faire exprès
Et dedans comme un matin gris
Une fille qui tangue et qui se tait...
Quelque temps après avoir écrit C'est Extra, Ferré est invité à la première de "Radioscopie", la nouvelle émission de radio de Jacques Chancel. Ce dernier l'interroge : "Avez-vous conscience d'être agaçant ?" Ferré lui répond : "Si je heurte les bonnes consciences décorées, je m'en tape." Sacré Léo !
C'est encore Ferré qui interprète le mieux Ferré.
Les Moody Blues qui s'en balancent
Cet ampli qui n'veut plus rien dire
Et dans la musique du silence
Une fille qui tangue et vient mourir...
C'EST EXTRA !!!
Salut Yann.
RépondreSupprimerTrès belle chanson.
Dans les reprises il y a aussi celle de la quebecoise terez montcalm plutot jazzy/lounge http://youtu.be/liIqrrEU16w
Merci cher ami, je suis passé à côté de cette belle reprise, une québécoise en plus, je suis impardonnable...
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